Le XVIe siècle



Un esprit créatif imprègne au XVIe siècle toute la vie musicale et le luth devient l’instrument de prédilection. Il participe toujours aux fêtes aristocratiques, à l’accompagnement des chanteurs et dans les concerts où il mêle sa voix aux autres instruments. La vogue des chansons polyphoniques se transmet d’un pays à l’autre et des centres musicaux vers les demeures les plus éloignées par l’intermédiaire des adaptations pour chant et luth ou pour luth seul. Mais les luthistes s’orientent aussi vers une expression plus solitaire, n’excluant pas la virtuosité, et créent des formes nouvelles qui atteignent, dans les fantaisies ou les préludes, un haut niveau de méditation musicale.



“IL DIVINO” ET L’ESPRIT DE LA MUSIQUE

C’est en Italie que Francesco Canova da Milano, dit “Il Divino” va subjuguer ses contemporains, par son étonnante virtuosité alliée à une science très solide du contrepoint. Son succès fut tel, qu’il engendra une véritable légende :

"Francesco de Milan se trouvant un jour en un banquet qui se faisait à Milan, après que les tables furent levées, prit un luth en main, et comme pour taster les chordes, il se mit à un bout de table à rechercher quelque fantaisie. Il n’eut pas plustot esmeu l’air de trois pinçades, qu’il rompit les discours commencés entre les uns et les autres, et les ayant contraints de tourner le visage vers le lieu où il estoit, il continua avec une si ravissante industrie, que faisant peu à peu mourir les chordes soub ses doigts, il transporta tous ceux qui l’escoutoient en une si gratieuse mélancholie que l’un mettoit le coude sur la table pour appuyer la tête de sa main, I’autre s’estandoit laschement, I’autre d’une bouche entreouverte et des yeux à demi-clos se clouoit presque aux chordes, I’autre inclinant la teste desguisoit son visage d’une estrange façon. Ainsi chascun demeuroit privé de tout sentiment, hormis de l’ouïe, comme ayant abandonné tous les sièges sensitifs se fust retirée au bord des oreilles pour jouir plus à son aise d’une si douce harmonie, en laquelle ectase ils eussent demeuré plus longtemps n’eut esté que le joueur de luth, se ravisant, ressuscita les chordes et envigourant peu à peu son jeu, il remit l’âme et les sentiments ad lieu d’où il les avoit désrobés, non sans laisser beaucoup d’étonnement à tous les assistants."

Ainsi s’exprimait un poète de la Pleiade - Pontus de Tyard ( Solitaire second, Lyon, 1555)-, qui ne fut d’ailleurs pas le seul à témoigner de l’effet ensorceleur de l’instrument sur la sensibilité, qui s’éveillait déjà aux raffinements de la préciosité naissante. D’ailleurs, le caractère très particulier de ce texte est à mettre en regard de la théorie musicale de la Grèce antique qui voulait que chaque mode eut le pouvoir d’engendrer chez l’auditeur un climat psychologique particulier ( Dorien pour le calme et la grandeur, Phrygien pour l’agressivité et la colère, Lydien pour le deuil et la tristesse, etc.).

En France, la renommée d’un autre luthiste italien, Albert de Rippe, fit que François Ier s’attacha ses services de longues années durant.
Bientôt, partout en Europe fleurit la mode du luth, qui devient un véritable signe extérieur de distinction. Apprendre à “toucher” le luth faisait désormais partie de l’éducation dans la noblesse et la riche bourgeoisie.

La noblesse s’attacha souvent pour une fortune, les services d’un luthiste virtuose, tel l’anglais John Dowland employé par le roi du Danemark, et dont certaines œuvres firent, en cette fin de XVIe siècle, l’admiration de l’Europe entière. (Lachrimae pavan, par exemple).


L’ESSOR DU LUTH ET SON INFLUENCE

Témoins de cet énorme engouement pour l’instrument, voici quelques faits :

• Industrie florissante des luthiers, en particulier à Bologne, en Italie. A la mort d’un des plus célèbres, Laux Maler qui exerçait à Bologne pendant la première moitié du XVIe siècle, l’inventaire de l’atelier ne dénombre pas moins de 1296 luths !

• L’imprimerie, encore à ses débuts, va publier en moins de 80 ans plus de 170 recueils différents de tablature de luth. Certaines officines sont prospères comme celle de Gardane à Venise ou Pierre Phalèse à Louvain, c’est d’ailleurs ce dernier qui publiera la première grande anthologie de musique de luth (importante nouveauté à l’époque) Hortus Musarum regroupant plus de cent pièces d’auteurs divers (1552).

• Non moins éloquente, la peinture de l’époque compte de très nombreuses peintures représentant des personnes de qualité avec un luth entre les mains. En cette deuxième moitié du XVIe siècle, Paris voit apparaître un goût nouveau pour l’imitation des anciens en accord avec les principes des poètes de la Pléiade. Le luth est tout désigné pour représenter l’union de la poésie et de la musique ; en 1552, l’édition des Amours de Ronsard comporte un supplément musical. Ronsard lui-même joue du luth, comme bien d’autres poètes qui ne manquent pas de dédier quelques vers à leur cher instrument :


"… La volupté prisée par dessus toutes, est celle qui vient du luth,
Car l’oreille et l’esprit contenter elle peut.
… Quand le luth une fois a frappé notre ouïe
Jamais de ce plaisir, elle n’est assouvie".

Claude du Verdier (Le Luth, 1585).


N’est-il point facile d’imaginer la belle Lyonnaise, telle qu’elle se décrit en ces vers :

"… Elle, ayant assez du pouce

Tasté l’harmonie douce
De son luth, sentant le son
Bien d’accord, d’une voix franche
Jointe au bruit de sa main blanche
Elle dit cette chanson…"

(Louise Labbé, vers 1555).